Obsédée par le temps qui passe, je concentre mon travail sculptural sur le corps et les empreintes que j’en fais. Je lutte ainsi contre l’idée de notre finitude, avec la conscience de son indéniable réalité.
L’art du verre de Reidunn Ruglands fascine
Cette artiste magnifique et presque sans réponse donne dans son art un aperçu complémentaire de son caractère. Avec le verre comme support, elle donne forme à une sorte de reflet, à « quelque chose qui a duré ». Avec la main du bouchon plus qu’avec celle du souffleur ou du broyeur, elle capture des images du passé, que ce soit dans un mouvement du corps, un motif historique ou dans les restes d’un vieil élément cassé. En tant que médium, le verre possède une myriade d’expressions. Les trois plus fortes sont peut-être l’état liquide de la solidification, la netteté menaçante des inserts après le broyage, ou le spectre des couleurs qui est rehaussé par les pigments qui sont enveloppés.
Dans plusieurs de ses motifs, ce sont précisément ces qualités qui sont utilisées par Reidunn. La pyramide est une forme ancienne. Les modèles cristallins de l’Égypte en portent des dizaines de milliers. Les pyramides en plastique de Reidunn semblent encore plus anciennes. Elles sont asymétriques et arrondies, et enveloppent de couleurs des couches de lichen de renne mates et brillantes. Le découpage et le broyage n’ont pas encore commencé. La forme grave du Nil n’est en quelque sorte que dans sa forme.
Les inserts en verre sont posés sur le sol. Ce sont des vestiges de surfaces de fenêtres brisées, de formes qui ont été et que nous avons regardées à travers, et dont nous avons reçu la lumière. Ces polygones sont recréés sous forme d’écailles et de tonneaux dans les mains de Reidunn. Posées les unes sur les autres, les pièces sont perforées par des fonds qui en accueillent une pour la porter, et à l’intérieur, au-dessus et au-dessous du verre, courent de minces conduits lacrymaux remplis de couleurs.
Ce sont peut-être ses corps étagés qui semblent les plus forts. Le torse, les hanches, les mains et les cuisses sont comme de doux fragments de mouvements qui ont été. Tels des masques corporels transparents, ils sont à la fois dissous et présents, comme les images d’un court instant de fugacité. Avec sa laiteuse craquelure qui retombe après l’enduit, c’est comme si ce qui s’était passé remontait à loin, ce sont de vieux moments qui sont capturés, peut-être depuis Pompéi. C’est ainsi que l’expression prend de l’ampleur, car ce sont de jeunes corps chargés de vie et d’érotisme que Reidunn a figés dans une image immuable.
Les thèmes de Reidunn sont porteurs d’avenir. Comme à travers une vitre, elle voit les deux côtés.
Thomas Thiis-Evensen
Professeur, Dr. Philos.